LUGOSi
Avant-propos
Il y a moins d’un an, j’ai commencé à suivre un groupe de hardcore (mathcore pour être exact) composé de Fabien, Pierre-Yves, Arthur, Lucas et Adrian. En 2024 et depuis quelques temps je mène déjà d’autres projets similaires, notamment avec Ben l’Oncle Soul que je photographie sur une partie de ses dates franciliennes. Mais celle-ci n’est pas si anodine puisque je n’ai à proprement parler aucune expérience de la scène entourant le rock hardcore.
Aussi, un détail qui n’en est finalement pas un : je connais Pierre-Yves depuis 2013.
Operator
Avant de parler de LUGOSi, j’avais envie de raconter comment j’en suis à arrivé à photographier des concerts.
Je crois que la première fois c’était en mars 2013 durant un show d’Indochine au Havre. Je me souviens bien de ce moment parce qu’il s’agit de mon premier concert dans une grande salle (c’est tard je sais.) Le but, à ce moment là, était avant tout de sauvegarder le moment, par son esthétique déjà, mais aussi d’en graver l’ambiance dans ma mémoire. Je savais bien que mon téléphone ne permettrait pas de photographier correctement et donc, par opposition de m’en souvenir aussi de la bonne façon. Sans le savoir j’étais spectateur mais aussi enregistreur, operator, terme si cher à Barthes.
L'expérience du Havre a été le révélateur d’une nouvelle méthode photographique puisque jusque-là, mon expérience de photographe se résumait à du journalisme. Mon boulot consistait à restituer en photo une information à des fins éditoriales, on est loin des salles de concerts.
Après le premier concert d’Indochine, j’en ai vu des dizaines (d’autres) jusqu’au 13/11/2015. À ce moment précis, ma façon de voir le monde a changé et en même temps ma manière d’appréhender les concerts aussi.
Crédit photo : Josselin Thévenet, concert de Lugosi au Cirque Électrique, février 2024
J’ai repris mon travail de photographe en février 2018 et peu après, les photographies de concert en compagnie d’un ami ex-otage, comme moi. Je n’ai jamais oublié mon premier déclenchement aux Docks Océane du Havre. Aujourd’hui, j’essaye de faire profiter de mon point de vue au plus grand nombre. Aujourd’hui lorsque je ne suis pas avec Ben sur une de ses dates, j’écume régulièrement les salles pour photographier l’envers du décor pour offrir aux spectateurs un point de vue intimiste, au plus proche des artistes de tous genres.
L’ami
J’ai rencontré Pierre-Yves fin 2013 au comptoir du bar duquel je deviendrais barman quelques mois plus tard. On devient potes puisque sa copine bosse déjà dans le rade en question et il est souvent dans le coin. Un soir, il me raconte qu’il joue dans un groupe, les Fixing Unicorns en compagnie d’un autre barman de l’équipe, Josselin. Ils me proposent tous les deux de venir les voir en concert au Truskel en septembre 2013. Pour récupérer les photos du dit concert, j’ai dû dépoussiérer un vieux disque que je n’avais pas rouvert depuis longtemps. La photo tout à gauche (en haut pour la version mobile) est tirée du reportage de ce concert-là. Dix ans le séparent de la photo tout à droite (tout en bas pour la version mobile.)
Si j’ai décidé de publier cette frise chronologique de mon ami ce n’est pas seulement pour exposer son évolution mais aussi pour en extraire iconographiquement, le cheminement de mon regard sur lui. Je voulais également de poser à plat, à la façon d’une planche contact, mon travail sur dix années, comme un regard en arrière.
LUGOSi - Le groupe de garçons
LUGOSi se définit comme étant un groupe de mathcore*, né en 2017 et sous l’impulsion d’Adrian et Fabien. C’est plus tard qu’arrivent Lucas, Arthur et Pierre-Yves. Lorsque je les photographie pour la première fois en janvier 2017, LUGOSi se positionnait différemment dans le genre de musique qu’ils proposaient et ça, je le découvre en écrivant cet article. C’est en lisant une vielle interview d’eux que je comprends qu’il y a eu deux LUGOSi et que la première version, était un groupe de Sludge/Progressive/Punk/Hardcore/Stonner. À l’époque, Adrian, en réponse à la journaliste (qui propose cette interprétation) rétorque : “Y’a pas d’étiquettes !” Aujourd’hui, les non-aficionados y entendront juste du metal ou même un “type qui gueule sur scène” et c’est justement ça qui me donne tant envie d’en parler. Aussi, LUGOSi est un groupe de garçons qui s’efforce de pousser murs du genre et qui en plus de proposer des concerts puissants, interroge également notre époque.
Lucas
Adrian
Arthur
Fabien
Si vous vous demandez d’où vient le nom du groupe, mon pote Stéphane Toutlouyan, (qui a rédigé un super article pour Rock’n’Concert à l’occasion du passage de Lugosi en octobre dernier) propose ceci :
“ Comme vous pouvez l’imaginer, il y a pléthore de groupes de rock qui s’appellent Lugosi.
Et pourquoi cela, me direz-vous ? Parce qu’il s’agit du sobriquet d’un acteur hongrois célèbre pour avoir incarné le comte Dracula et joué dans de nombreux films d’horreur entre les deux guerres mondiales, ce qui a donné l’idée à Bauhaus, précurseurs du rock gothique, d’intituler leur premier single Bela Lugosi’dead … ce qui était vrai puisque le morceau est sorti en 1979 alors que Bela a cassé sa pipe en 1956 !”
*Le mathcore (ou hardcore chaotique) est un sous-genre de metalcore dissonant et de rythmique complexe.) source : Wikipédia
2017
LUGOSi, Studio Campus, janvier 2017
2023
LUGOSi, Péniche Antipode, juin 2023
L’engagement
En juin dernier, j’ai remarqué Adrian et Pierre-Yves coller des feuilles A4 partout dans la péniche qui fait office de salle de concert dans laquelle ils jouaient. Sur chacune de ces affichettes on pouvait lire, noir sur blanc, les comportements à bannir pendant leurs concerts. Moi, avant de venir, je m’attendais à être bousculé dans des pogos, à subir, (c’est jamais simple d’être photographe dans des concerts de rock.)
Mais les instructions sont formelles. Pierre-Yves est intervenu deux fois pour faire baisser la tension dans le pit. Ça peut paraître anodin mais j’étais touché. Touché car dans un monde où le terrorisme, la guerre, les conflits, les inégalités sociales, la crise tant écologique que financière font l’actualité il y a un petit groupe, qui ne cède pas un centimètre à tous ces thèmes.
LUGOSi, Péniche Antipode, juin 2023
«Always trying our best »
Le plus étonnant est qu’ils ne s’arrêtent pas là.
En tant qu’humains, nous traversons tous des moments difficiles. Cela peut être des déprimes passagères, des crises, des luttes internes jusqu’aux manifestations les plus violentes, qui laissent des traces dans nos vies : dépression, traumatismes violents, pulsions suicidaires.
On a tous nos raisons d’aller à des concert et il y a, j’en suis sûr, autant de gens que de motivation qui nous poussent à y aller. L’évasion est l’une d’elle, puisqu’on va à des concerts pour se sentir bien, heureux, connectés à ce que nous sommes à l’intérieur. Mais quid des périodes où ça ne va pas ?
La première fois j’ai été surpris d’entendre Pierre-Yves, avant le dernier morceau s’adresser à ces personnes dans la foule qui se sentent “mal.” Quelque part, ce dernier discours résonne comme un rappel, à tous, qu’il y a des gens dans la pièce qui “n’ont peut être pas trouvé le courage de se lever ce matin.” La première fois ça m’a extrait du moment, mais c’est justement le but, je crois. On nous sort du bien être, de la catharsis provoquée par le concert pour invoquer l’extérieur pour mieux l’exorciser à l’intérieur.
À la fin de sa prise de parole, Pierre-Yves se fait le porte parole du groupe : “On est là.”
Dehors, la vie, la routine, la douleur, le deuil, le mal.
LUGOSi, Cirque Électrique, janvier 2024
La fin de la Haine
En plus de huit années depuis les attentats et de tous les concerts qu’il m’ait été donné de photographier, beaucoup m’ont renvoyé vers mon expérience. Ça n’a jamais été le cas durant les concerts de mes amis. Quelque part, je me demande si assister à un concert de LUGOSi c’est aussi respecter et adhérer aux engagements qu’ils soutiennent : la non violence, la paix, la fin de la Haine. Le contraste, pour quelqu’un qui n’a ni l’habitude ni l’oreille à de la musique dure comme le hardcore peut l’être est particulièrement saisissant. Tout, nous emmène vers quelque chose de rugueux et violent, pourtant leurs concerts font vibrer l’essence même de la musique, celle qui rassemble et nous fait bouger en rythme, pas du tout ce qu’elle semble être.
Au fond, je me demande si c’est sûrement pas ça qui fait toute la différence avec les concerts que j’ai vu jusque-là. La musique de LUGOSi se joue dans des salles plus petites les unes que les autres. Elle nous renvoie finalement vers quelque chose de plus pur, au diapason de notre époque et c’est sans doute vers ça que j’allais en commençant ce projet en juin dernier.
LUGOSi, Cirque Électrique, février 2024
